Garcette

La news du Planning Familial du Pays de Lorient

Maria-Maï, ou la grâce du coming-in

Femme, danseuse, trans, écrivaine, Maria-Maï a l’art du récit chevillé au corps. Ça tombe bien, c’est pour cela qu’on est venues. Rencontre avec une personnalité charismatique, qui compare son parcours de transition au butō.

Maria-Maï Matrat : Avant de commencer, je voudrais préciser que je ne veux pas parler pour les autres. Je parle vraiment pour moi, de ce que je vis. Peut-être qu’il y a des points communs avec d’autres femmes trans, mais je tiens à dire que je ne milite pas, je n’ai aucun message à faire passer. J’ai simplement besoin de poser les choses. On est toustes tellement différent.e.s. Je le vois dans mes corps chaque jour. Les chemins de transition sont tous uniques.

Garcette : Est-ce que tu peux te présenter ?

MM : Je m’appelle Maria-Maï Matrat, je suis née en 1957, j’ai donc 65 ans et demi. Je suis arrivée à Lorient avec mon amoureuse, le 23 décembre 2012 exactement. 27 ans plus tôt, j’avais créé une entreprise industrielle que j’ai dirigé pendant 23 ans. Je vivais alors avec ma compagne et nos deux enfants. Et puis le clown a croisé ma vie, et je suis entrée dans une école de théâtre professionnel à Lyon. J’ai suivi une analyse pendant 12 ans aussi. Maintenant, je danse le butō [ndr : une danse contemporaine japonaise] et je travaille sur un spectacle dont la première représentation devrait avoir lieu au printemps 2024. C’est un spectacle qui parle de transition. Je collecte depuis quelques années des mots sur ce que je traverse.

G : Le clown, le théâtre, c’est une reconversion ?

MM : Ah je n’aime pas trop ce mot-là, je dirais une histoire de changement, ou plutôt de révélation. En fait, je me suis rendu compte que dans la vie, on a des périodes où on travaille pour vivre et il y a des périodes où on travaille à vivre. Et depuis le moment où j’ai commencé cette école de théâtre, je me suis mise à travailler à vivre ! Je ne sépare pas le clown, la création et la direction d’une entreprise, la danse, c’est la vie tout ça. Et c’est ce que raconte le butō. J’essaye de danser à tous les instants. Pas forcément en bougeant dans son corps, on peut aussi danser dans sa tête.

G : Est-ce que pour toi, il y a eu un déclic ou bien les choses se sont passées progressivement ?

MM : Les deux. Il faut une certaine préparation pour qu’un déclic se fasse. J’ai identifié des cycles dans ma vie. Et pour répondre à la question des déclics, pour ma part, il n’y en n’a pas qu’un, il y en a eu plusieurs. Il y a eu l’été 2001, ça n’allait pas bien du tout pour moi à ce moment-là. On était en vacances en famille dans la région de Montélimar.  J’avais 44 ans. On avait loué un gîte. Il faisait très chaud, les enfants étaient dans la piscine. Je ne me sentais pas bien, je me suis isolée et j’ai senti une bouffée d’angoisse terrible. Un truc physique m’a saisi dans mon corps entier. J’ai paniqué, j’ai eu le sentiment que si je ne bougeais pas, il allait se passer quelque chose. C’était un signal qui me disait : « Maria, engage une réflexion, un travail sur toi ». En rentrant, j’ai décidé de commencer une analyse.

G :  Est-ce que c’était identifié pour toi à ce moment-là que ce que tu vivais était en lien avec le genre ? Ou c’est avec l’analyse que c’est venu ?

MM : Bien-sûr que je le savais. Mais à ce moment-là précis, la panique est telle qu’on ne raccorde pas tout. Quand j’avais 20 ans, j’avais dit à une de mes belles-sœurs : « Maman avait toujours voulu avoir une fille, cette fille, c’est moi ». Je suis la seule fille d’une fratrie de 6. J’ai 5 frères. Donc, déjà à 20 ans, je disais à mes proches que j’aurais aimé être une femme. Au cours de mon analyse, la question du genre est venue très tôt. Ma compagne à l’époque me disait : « toi tu portes ta féminité comme un étendard ». Je ne percutais pas encore complétement mais je me sentais fière quand elle me disait ça. J’ai découvert ma féminité au fil de mon analyse, et c’était génial, je ressortais des séances avec la banane. Il a quand-même fallu attendre longtemps pour que je me déclare à moi-même, que je fasse mon « coming-in ». Tout le monde parle du coming-out mais sans le coming-in, le coming-out ne peut pas avoir lieu. Le coming-in, on n’en fait qu’un et à une seule personne : soi-même. En juillet 2018, j’avais 61 ans, j’étais là, dans cet appartement, devant mon ordinateur, je venais de voir une vidéo, j’ai levé les yeux et j’ai dit : « Aujourd’hui, j’ai vu l’Himalaya et maintenant, je vais monter là-haut ». C’était ça mon coming-in.

G : Y’a-t-il eu d’autres personnes qui ont été pour toi des sources d’inspiration et de courage ?

MM : Bien sûr. Si d’autres sont montées là-haut et sont revenues, c’est que c’est possible. J’ai fait pas mal d’alpinisme et il y a une règle très importante à suivre : il faut penser à revenir. Parce que c’est bien beau d’atteindre un sommet, mais si on a mal calculé son coup et qu’on n’a plus les moyens de redescendre, c’est un peu dommage. Donc, moi je voulais monter là-haut et en revenir vivante et transformée évidemment.

G : Qu’est-ce qui a suivi ce coming-in ?

MM : Pour moi, ça a été très rapide. La porte était ouverte. Le coming-out est venu tout de suite, dès le lendemain en fait. Ça s’est passé par petits cercles, qui s’élargissaient progressivement. J’en ai d’abord parlé à des ami.e.s proches. J’avais envie de monter sur les toits et de le crier à tout Lorient. C’était une période très heureuse. Dans ma famille, il y a deux personnes qui m’ont vraiment soutenue : des cousines. Ce sont les seules qui ont répondu avec enthousiasme à un mail que j’avais envoyé à tous mes cousins. En revanche, j’ai une belle-sœur qui m’a dit : « J’accueille… et, est-ce que tu es heureuse au moins ? » Ça, ça a été beaucoup plus difficile à encaisser. Son « j’accueille » était très condescendant. Mes frères, mes belles-sœurs, ils n’ont pas compris que je laisse une entreprise qui fonctionnait plutôt bien, un couple avec des enfants, une grande maison. Ils pensaient que j’avais réussi. Mais pour moi, c’est un non-sens d’essayer de réussir. Ce que j’essaye de faire, c’est de vivre les échecs, comme les réussites. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun contact avec ma famille. Je les comprends en même temps, ça fait tellement peur. Ça remet en cause plein de choses établies. Beaucoup de gens autour de moi sont désemparés face à ce que je vis. Ils n’ont pas de réponse à mes questions, à mes douleurs, à mes joies, à mes peines. Je suis dans un monde inconnu d’eux et de moi-même.

G : Comment faire pour vivre au milieu de personnes qui ne comprennent pas, voire parfois qui remettent en question la personne que tu es ?

MM : Quand je suis confrontée à une forme d’hostilité, je m’éloigne, d’une façon ou d’une autre. Ou bien, à l’inverse, je marque mon territoire. Par exemple, il y a dans mon voisinage un monsieur qui prend beaucoup de place. Je pense que ce garçon me voit comme un homme qui s’habille en femme. Et il y a un moment où ça va, ça suffit. Il a commencé à me tutoyer, je lui ai répondu « je préfère qu’on en reste au vouvoiement ». C’est une façon de marquer la distance. Voilà, j’apprends petit à petit et je me fais des petits carnets de répartie. Il y a une phrase qui marche souvent très bien, c’est : « Oh vous savez, on m’a déjà prise pour un homme mais je suis bien une femme, il n’y a aucun doute là-dessus. » Ça ramène bien les choses, tranquillement. Mais ça reste dur, parfois.

G : Est-ce que, à l’inverse, tu es allée vers des personnes qui t’ont soutenue, aidée au fil de ta transition ?

MM : Oui, mais ce n’était pas simple. La première personne vers qui j’ai été, c’est C., une femme trans de l’association nantaise NOSIG, qui reçoit des personnes LGBTQIA+. C’était après mon coming-in, on devait être en octobre, il pleuvait ce jour-là. C’était la première fois que je sortais à l’extérieur habillée en fille, je l’ai très mal vécu. J’en profite pour faire un pas de côté à propos du travestissement. Nous, femmes trans, je pense qu’on passe toutes par là. Le travestissement pour moi signifie « je suis un homme et je m’habille en femme », et il y a des hommes qui sont heureux comme ça. Moi, je ne suis pas un homme, j’emploie toujours le féminin pour parler de moi avant mon coming-in parce que je ne peux plus utiliser mon prénom d’avant. J’ai d’ailleurs écrit un court texte là-dessus : « Dans la nuit, prendre le temps de dire adieu, adieu à mon ancien prénom, te regarder, toi qui m’a accompagnée pendant tant d’années. Je ne te laisse pas par manque d’amour, je ne laisse pas pour une autre, l’autre, c’est moi. Je suis et j’ai toujours été. Je ne te laisse pas, tu seras toujours là. Je te demande de veiller sur moi. Tu es mon homme, tu es ma force. Tu es mon homme à la maison, il faut juste de la distance pour pouvoir te regarder, toi mon ancien prénom. »

G : Est-ce que tu pourrais nous expliquer avec tes mots ce qu’on entend par ‘dysphorie de genre’ ?

MM : Pour moi, c’est le décalage entre ce que je sens que je suis et ce que je suis en train de vivre, à l’instant présent. Le mot clé, c’est ‘décalage’. Un exemple concret : pendant le premier confinement, j’ai fabriqué un petit meuble. Je vais en bas dans la courette pour couper des morceaux de bois pendant 2h. Quand je remonte, le ‘mec’ était là, il avait repris toute la place. Et moi, j’étais effondrée. Ce jour-là, j’ai mis ce miroir, à côté de l’évier. Comme ça, quand j’ai un doute, je me regarde et je me rassure. J’ai besoin de me voir dans le miroir. Parce qu’il y a une forme d’inquiétude à se voir disparaître.

G : Comment se passe ton parcours de transition ? Y’a-t-il des médecins à Lorient qui t’accompagnent ?

MM : Ce serait bien s’il y en avait à Lorient, ça m’éviterait d’aller à Rennes… Les endocrinologues de l’hôpital de Lorient bottent en touche. Ma médecin généraliste de l’époque m’avait répondu qu’elle ne s’occupait pas d’hormones et m’avait orientée vers un psychiatre. Alors que la loi dit bien que la dysphorie de genre n’est pas une maladie psychiatrique. J’ai donc contacté l’association Ouest trans, à Rennes. Iels ont été formidables, j’ai obtenu une liste de médecins « trans friendly » : mais tous à Rennes. C’est très coûteux une transition, financièrement notamment. La médecin de Rennes a tout de suite vu que j’étais prête. Elle m’a prescrit des analyses puis, on a commencé le protocole avec les hormones. Puis, j’ai monté mon équipe autour de moi : une psy à Pontivy, une médecin généraliste à Lorient qui est en lien avec celle de Rennes, un dermatologue pour l’épilation définitive, une orthophoniste spécialisée dans la féminisation des voix trans (elle est à Nice, on se parle en visio). Et puis, j’ai rendez-vous le 12 septembre à l’hôpital pour préparer les interventions chirurgicales à venir. Sur le plan administratif, je me suis débrouillée toute seule. Le 23 décembre 2021, j’ai reçu mon courrier de la sécurité sociale avec mon 2, ça c’est un moment très important aussi pour une femme trans.

G : Merci pour ta confiance. Est-ce que tu aurais une recommandation culturelle pour les lecteurices de Garcette ?

MM : La BD Peau d’homme ! Même si c’est un peu l’inverse de ce que je vis, puisque c’est une femme qui prend une apparence d’homme pour les besoins de sa vie, mais peu importe dans quel sens ça va. Moi ça m’a touchée, c’est très doux. Je suis très heureuse qu’il y ait un Planning Familial à Lorient. Parce que si on reste chacune recluse dans notre coin, il ne va jamais rien se passer, alors merci, merci à vous aussi.

Peau d’homme, de Hubert et Zanzim, aux Edition Glénat, 2020.

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer